
J’étais chez Renaud-Bray la semaine dernière, et fidèle à mes habitudes, je me suis arrêté devant le présentoir à magazines. J’aime toujours feuilleter les publications question de voir les sujets qui sont abordés et comment ils sont traités. Évidemment, mon domaine de prédilection est l’ébénisterie et je ne peux m’empêcher de prendre un exemplaire de Fine Woodworking, WOOD Magazine, Woodcraft Magazine, Woodsmith et Woodworker’s Journal.
Quelle ne fût pas ma surprise de constater à quel point le nombre de pages totales dans mes magazines jadis préférés semblait avoir fondu par rapport à ce qu’il a déjà été dans le passé. À titre d’exemple, le numéro de mai 2015 de WOOD Magazine comporte seulement 84 pages alors qu’il s’est maintenu bien au-delà de 100 pages durant plusieurs années. J’ai donc décidé de faire un petit exercice pour comparer les magazines entre eux afin de voir si le nombre de pages publiées a diminué au cours des dernières années, et si oui, de combien en moyenne.
Fine Woodworking (1975 – )
Sans doute le magazine d’ébénisterie le plus prestigieux actuellement en circulation, Fine Woodworking a inspiré plusieurs générations d’ébénistes, et continue de le faire à ce jour. Le graphique ci-dessus est certainement le plus rassurant de tous, car il montre une progression rapide du nombre de pages dans les premières années, pour ensuite passer au delà des 100 pages dès 1981 et ce, sans interruption jusqu’à la fin 2012, hormis quelques exceptions. Depuis la fin 2012, Fine Woodworking publie des numéros de 92 pages, ce qui lui confère une très bonne allure.
WOOD Magazine (1984 – )
S’il y a un magazine qui m’a toujours impressionné par son nombre de pages à chaque numéro, c’est bien WOOD. Son tout premier numéro publié à l’automne 1984 comportait 116 pages et le magazine à même livré quelques numéros avec tout près de 140 pages lors de ses meilleures années. Dans le graphique, ne portez pas trop attention au creux de vague que l’on observe entre les numéros 161 et 195, car il s’agit du nombre de pages totales sans la publicité. Or, ces numéros-là comportaient un nombre de pages comparable aux numéros précédents, soit environ 100 pages. À partir du numéro 196, les pages complètes de publicité ont été réintégrées dans le nombre de pages totales. On observe toutefois une baisse lente, mais constante, et WOOD tourne maintenant autour de 80 pages par numéro.
Woodworker’s Journal (1977 – )
Chez Woodworker’s Journal, la situation est au beau fixe. En observant le graphique, on voit une progression très lente entre les premiers numéros jusqu’au début des années 2000. À partir de 2003, et ce, jusqu’en 2008, le magazine arrive à livrer plusieurs numéros comportant plus de 100 pages. À partir de 2009, une année marquée par une grave récession mondiale, le nombre de pages du magazine s’effondre à une soixantaine de pages. Quelques numéros comporteront bien entre 76 et 84 pages, mais la tendance à la baisse est lourde et difficile à ignorer. Depuis, le magazine se maintient sous la barre de 80 pages par numéro.
À l’instar du magazine Woodcraft qui est la propriété du commerçant américain Woodcraft, il est intéressant de noter que le magazine Woodworker’s Journal appartient à Rockler.
Woodsmith (1978 – ) et ShopNotes (1992 – 2014)
Ces deux magazines, qui n’ont aucune publicité dans leurs pages, ont connu un destin intéressant.
Le magazine ShopNotes, qui a publié son dernier numéro en 2014, a connu une progression en deux plateaux. Les 78 premiers numéros comportaient une trentaine de pages, alors qu’à partir du numéro 79, on assiste à un bond soudain de 20 pages supplémentaires. C’est peu étonnant en considérant que le numéro 80 a été publié en 2005, une époque où les baby-boomers se lançaient massivement à la recherche d’un loisir pour meubler leur retraite. Malgré cette croissance qui semblait solide, August Home Publishing Company décide tout de même de cesser en 2014 la publication de ce magazine pourtant très apprécié.
Du côté de Woodsmith, le portrait est comparable puisque cette fois-ci on observe quatre plateaux différents. Depuis ses débuts modestes avec une dizaine de pages, le magazine passe à une moyenne de 24 pages, ensuite à 32 et 36 pages, pour se stabiliser à 52 pages à partir du numéro d’octobre/novembre 2004 jusqu’à aujourd’hui. Encore une fois, il n’y a pas lieu de s’en étonner, les années 2000 ont été l’âge d’or de l’ébénisterie artisanale.
American Woodworker (1989 – 2014)
Le magazine American Woodworker, qui a publié son dernier numéro à la fin 2014, a connu un nombre de pages par numéro relativement stable jusqu’à la fin. Les deux derniers numéros comportaient 68 pages, mais le magazine avait quand même maintenu des numéros aux alentours de 76 pages durant les 4 ou 5 années précédentes. Il faut remonter à l’année 2010 pour voir quelques numéros avec 84 pages.
Woodcraft (2005 – )
Pour ce magazine, qui est la propriété du détaillant du même nom, le nombre de pages est demeuré très stable à 82 depuis de nombreuses années, et ce, même après les premiers numéros qui comptaient plus de 100 pages. La situation de ce magazine est très différente puisqu’elle appartient à un détaillant qui s’en sert pour diffuser du contenu permettant de transmettre des connaissances à ses clients.
Popular Woodworking (1891 – )
Ce magazine a une histoire intéressante puisque son origine remonte à 1981 alors qu’il se nommait Pacific Woodworker. C’est dans le numéro 19 (juin/juillet 1984), qu’on informe les lecteurs du changement de nom du magazine pour Popular Woodworking. En ce qui concerne l’historique du nombre de pages, il est malheureusement difficile de tirer quelques conclusions que ce soit, car les pages de publicité ont été éliminées des numéros publiés entre 2000 et 2010. Il est toutefois intéressant de constater que le nombre de pages semble très stable depuis 2008.
Ceci dit, trois collaborateurs réguliers du magazine, soit Chuck Bender, Adam Cherubini et Robert W. Lang ont quitté leur poste l’an dernier pour fonder un nouveau magazine en ligne (www.360woodworking.com).
Conclusion
Il suffit de regarder les graphiques pour s’apercevoir rapidement que les meilleures années des magazines d’ébénisterie sont derrière nous. De plus, comme on l’a vu avec le cas de ShopNotes et d’American Woodworker, on ne peut pas utiliser le nombre de pages publiées comme un indice de leur pérennité, car ces deux derniers magazines ont cessé leur publication alors que leur nombre de pages était stable ou en croissance.
Une chose est certaine, le nombre de pages totales d’un numéro est toujours en lien direct avec le nombre de pages de publicité vendues pour ledit numéro, du moins, pour les magazines qui opèrent selon ce modèle d’affaires (Woodsmith et Shopnotes sont les exceptions). Il n’est donc pas trop difficile de conclure qu’il se vend moins de publicité aujourd’hui que durant la décennie précédente. Les revenus de toutes sortes sont en baisse, qu’ils proviennent de la publicité, des abonnements ou des ventes en kiosques, et ça se répercute dans le nombre de pages livrées à chaque numéro. Personne n’y échappe.
Dans le contexte actuel, il est alors très difficile de prévoir quel sera le prochain magazine à fermer les livres, sans faire un mauvais jeu de mots. En ce qui concerne Woodcraft et Woodworker’s Journal, tous les deux la propriété de grands détaillants d’outillage et d’accessoires d’ébénisterie aux États-Unis (Woodcraft et Rockler), ils peuvent probablement demeurer en vie même s’ils s’avéraient déficitaires. En effet, ces commerçants tirent des avantages à publier du contenu qui s’adresse directement à sa clientèle, et qui par la suite peut l’amener à dépenser davantage dans leurs commerces.
Le seul magazine conventionnel qui est probablement encore à l’abri d’ennuis à court terme, c’est Fine Woodworking. Ce magazine est dans une classe à part depuis le début, et les lecteurs y sont généralement très attachés. La qualité du contenu et la grande diversité des titres publiés aux éditions Taunton Press me laissent croire que Fine Woodworking est entre bonnes mains pour encore une longue période. Il faut également souligner que Fine Woodworking a investi massivement dans son site Internet il y a plus d’une décennie et continue d’y ajouter du contenu de qualité, ce qui me laisse croire qu’ils avancent dans la bonne direction. De plus, si d’autres magazines ferment leurs portes dans les années à venir, ceux qui resteront pourront encore rafler des lecteurs orphelins pour solidifier leur base d’abonnés. Bref, avec de solides numéros de 96 pages depuis 2012, Fine Woodworking est très certainement en mesure d’assurer sa survie.
Pour les magazines dont l’avenir est menacé à court ou moyen terme, ceux qui ont le plus à craindre à mon avis sont WOOD Magazine, Woodsmith, et Popular Woodworking. Ce dernier étant probablement le plus vulnérable du lot. En effet, le rédacteur en chef Christopher Schwartz, qui avait son lot d’admirateurs, a quitté le bateau il y a déjà quelques années afin de se consacrer à sa maison d’édition Lost Art Press. Le départ simultané de trois collaborateurs importants l’automne dernier est un indice supplémentaire que les choses ne tournent peut-être pas rond là-bas.
Woodsmith est quant à lui un cas unique, au sens où ils ne dépendent pas de la publicité. Ce modèle d’affaires fait probablement en sorte qu’ils sont moins vulnérables, mais le lectorat et les ventes en kiosques diminuent beaucoup, alors les choses ne sont probablement pas roses là-bas non plus. Shopnotes a déjà fermé ses livres.
Enfin, pour ce qui est de WOOD Magazine, je suis ambivalent. Il est évident que ce magazine a connu de très belles années avant la récession de 2009, mais depuis ce temps, le nombre de pages de ses numéros fond comme neige au soleil. Il est plutôt déconcertant de feuilleter un numéro de 80 pages alors que nous avons encore à l’esprit des numéros de plus de 120 pages. Bref, il est absolument impossible de statuer sur leur santé financière, mais une chose est certaine, ce magazine a beaucoup changé pour tenter de s’adapter à la nouvelle réalité et il reste à voir si ces changements seront bénéfiques.
D’ici là, bonne lecture sur Parlons Outils!
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